L’usage précoce du cannabis nuit à la mémoire de travail des adolescents, mais son effet délétère est plus marqué chez les filles, ce qui pose un risque pour leur réussite scolaire ainsi que pour leur mémoire lorsqu’elles atteignent l’âge adulte.
C’est ce qu’indiquent les résultats d’une étude effectuée par Sima Noorbakhsh, du Centre de recherche du CHU Sainte-Justine, sous la direction de la professeure Patricia Conrod, du Département de psychiatrie et d’addictologie de l’Université de Montréal. Ces travaux font l’objet d’un article scientifique paru début avril dans la revue Frontiers in Human Neuroscience.
Une étude étalée sur cinq années
Réalisé en collaboration avec la direction et le corps enseignant de 31 écoles secondaires du grand Montréal, le projet de recherche consistait à évaluer, à l’aide de sondages et de différents tests neuropsychologiques, les répercussions de la consommation de cannabis et d’alcool sur la mémoire et les performances cognitives de 3826 élèves.
«Leurs réponses, obtenues sur une base annuelle, ont été recueillies sur une période de cinq ans, permettant ainsi aux chercheuses de suivre une cohorte d’élèves du début à la fin de leurs études secondaires», précise Patricia Conrod.
Outre les sondages pour connaître l’évolution de la consommation chez les jeunes, les tests neuropsychologiques permettaient de mesurer leur mémoire de travail, leur mémoire de rappel, leur raisonnement perceptif et leur contrôle inhibiteur.
Effet plus marqué chez les filles qui consomment à un plus jeune âge
Globalement, les sondages font état d’une augmentation graduelle de la consommation d’alcool et de marijuana de la première à la cinquième secondaire tant parmi les garçons que parmi les filles.
En outre, si les tests neuropsychologiques montrent que la consommation annuelle d’alcool n’est pas associée à une réduction significative des performances cognitives et mnémoniques, il en est tout autrement de l’usage du cannabis.
Effectivement, les résultats ont mis au jour une diminution des performances chez les garçons comme chez les filles pendant les tests ainsi qu’un effet plus dommageable sur la mémoire de travail parmi celles qui en ont consommé de façon précoce, soit au début du secondaire.
Comment expliquer cette différence?
«La mémoire de travail, qui implique la capacité de traiter et d’emmagasiner l’information sur une courte période, est liée au cortex préfrontal, explique Patricia Conrod. Il s’agit de la dernière région du cerveau à se développer chez les adolescents, mais ce développement survient plus tôt chez les filles que chez les garçons.»
«Plusieurs études tendent à démontrer qu’un usage précoce de la marijuana nuit à la maturation du cortex préfrontal, et nos résultats les corroborent: les filles qui rapportent avoir consommé du cannabis au début de l’adolescence affichent, à la fin de leur secondaire, un déficit de mémoire de travail comparativement aux autres qui en ont consommé plus tardivement», poursuit la professeure.
Prévenir la consommation précoce de cannabis
L’étude révèle aussi qu’il existe une différence de genre quant aux conséquences négatives d’une consommation précoce du cannabis sur le développement du cerveau et, plus particulièrement, de la région liée à la mémoire de travail.
Les données recueillies par Sima Noorbakhsh et Patricia Conrod montrent également qu’en cinquième secondaire ‒ soit avant l’âge adulte ‒ «presque 80 % des participants et participantes ont dit avoir consommé du cannabis dans leur vie».
«Au pays, plus de 10 % des adolescentes de 15 ans et plus avaient consommé de la marijuana au cours de l’année précédente, selon les données de 2018 de Statistique Canada, et nous savons que les élèves qui fument du cannabis sont exposés à un risque 2,3 fois plus élevé de décrochage scolaire comparativement à ceux et celles qui n’en prennent pas», soulignent-elles dans leur analyse.
Aussi, il est prouvé que la consommation régulière de cannabis a chez les jeunes des effets à long terme sur leur capacité d’attention et leur mémoire, en plus de diminuer leurs résultats scolaires.
«Bien que la loi qui interdit la consommation de marijuana avant 18 ans ‒ 21 ans au Québec ‒ soit une bonne chose, elle ne change pas les comportements des adolescents, conclut Patricia Conrod. Il faut mieux prévenir son usage précoce par des stratégies qui engageront les parents, les écoles et la santé publique, par le biais d’interventions qui cibleront et toucheront les jeunes, car il en va de leur santé mentale à long terme.»